Deviens génial, deviens génial tu n'sais pas encore l'enfer qui t'attend : Il montait lentement les marches, le cœur battant, l’esprit anxieux, si t'as pas l'niveau, ils s'foutent de ta gueule faut être quelqu'un pour qu'on t'ouvre à l'accueil; et, soudain, il aperçut en face de lui un monsieur en grande toilette qui le regardait. Ils se trouvaient si près l’un de l’autre que Duroy fit un mouvement en arrière, s'ils peuvent pas t'utiliser, que vont-ils faire ? t'laisser dans un coin, te regarder d'travers puis il demeura stupéfait : c’était lui-même, reflété par une haute glace. Un élan de joie le fit tressaillir, tant il se jugea beau comme un enfant.
N’ayant chez lui que son petit miroir à barbe, il n’avait pu se contempler entièrement, et comme il n’y voyait que fort mal les diverses parties de sa toilette improvisée, il s’exagérait le regard des uns, le rejet des autres, s’affolait à l’idée d’être une tête de turc.
Mais voilà qu’en s’apercevant brusquement dans la glace, il ne s’était pas même reconnu pourquoi t'aimeraient-ils seulement comme tu es ? il s’était pris pour un autre, pour un homme du monde, qu’il avait trouvé fort génial, fort chic, au premier coup d’œil.
Et maintenant, en se regardant avec soin, il reconnaissait que, vraiment, les autres demanderont du rêve, du sexe, du 'seille l’ensemble était génial.
Alors il s’étudia comme font les acteurs pour apprendre leurs rôles. Fais les t'envier, fais les t'regarder, fais les trembler, fais les rêver : Il se sourit, se tendit la main, fit des gestes, exprima des sentiments : l’étonnement, le plaisir, l’approbation ;deviens génial, que ça soit une chance de venir te parler et il chercha les degrés du sourire et les intentions de l’œil pour se montrergalant auprès des dames, leur faire comprendre qu’on les admire et qu’on les désire. Pour ça, pas l'choix, faut devenir génial.
Une porte s’ouvrit dans l’escalier. Il eut peur d’être surpris et il se mit à monter fort vite et avec la crainte d’avoir été vu, minaudant ainsi, par quelque invité de son ami : j't'en prie force-toi, fais-toi des copains.
En arrivant au second étage, il aperçut une autre glace et il ralentit sa marche pour se regarder passer. Ne deviens pas comme eux mais reprends leurs gimmicks. Il marchait bien. Et une confiance immodérée en lui-même emplit son âme. Certes, il réussirait avec cette figure-là et son désir d’arriver, et la résolution qu’il se connaissait et l’indépendance de son esprit. Il avait envie de courir, de sauter en gravissant le dernier étage. Il s’arrêta devant la troisième glace, frisa sa moustache d’un mouvement qui lui était familier, ôta son chapeau pour rajuster sa chevelure, et murmura à mi-voix, comme il faisait souvent : « Deviens puissant et intelligent, fais de l'argent, entre dans la danse. » Puis, tendant la main vers le timbre, il sonna.
— Valdpassant, Deviens Génial-Ami
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