La présidente de Tourvel A…
(Dictée par elle & écrite par sa femme de chambre.)
Être cruel & malfaisant, ne te lasseras-tu point de me persécuter ? Ne te suffit-il pas de m’avoir tourmentée, dégradée, avilie, ? et j’en ai marre de toi. Quoi ! mais c’est pas moi, non c’est toi, moi j’allais bien avant tout ça. Dans ce séjour de ténèbres où l’ignominie m’a forcée de m’ensevelir, les peines sont-elles sans relâche, l’espérance est-elle méconnue ?J’te jure je donnerais tout pour un souvenir à sauver mais ne rends pas mes tourments insupportables. C’est tellement mieux quand t’es pas sur ma route. J’étais innocente & tranquille : c’est pour t’avoir vu que j’ai perdu le repos ; c’est en t’écoutant que je suis devenue criminelle. Tu fais ma nuit, mes pensées ; auteur de mes fautes, quel droit as-tu de les punir ?
Où sont les amis qui me chérissaient, où sont-ils ? mon infortune les épouvante. J’ai peur des autres, t’as gagné. Je reste toute la journée dans mon lit. Aucun n’ose m’approcher. Je suis opprimée, & ils me laissent sans secours ! Je meurs, & personne ne pleure sur moi. J’vais creuser dans ma peau jusqu’au mal qui m’a rongé, laisser l’avenir arraché.
Et toi, que j’ai outragé ; toi, tu m’fais craquer, même saigner toi, qui seul enfin aurais le droit de te venger, que fais-tu loin de moi ? Parfois ma tête ne tient plus qu’à un fil c’est peut être parce que mon coeur est fébrile tu chasses en moi tout c’qui était facile. Viens punir une femme infidèle. Que je souffre enfin des tourments mérités. On finira tous les deux à l’asile !
Mes idées noires j’en ai plus rien à foutre : Déjà je me serais soumise à ta vengeance ; mais le courage m’a manqué pour t’apprendre ta honte. C’est surtout ton odeur qui me dégoûte mais pas question qu’j’émette juste un seul doute. Que cette lettre au moins t’apprenne mon repentir. Le ciel a pris ta cause.
Impitoyable dans sa vengeance, il m’a livrée à celui-là même qui m’a perdue. C’est à la fois, pour lui & par lui, que je souffre. J’aimerais me détester de manière singulière, m’arracher la peau me fonce-der la gueule jusqu’à plus trouver mes phrases , respirer dans l’eau, éclater mon crâne sur le béton mouillé et trouver le repos, saccager la foule, briser tout mon corps pour plus penser tout haut.
Tous les autres, tous les autres se lèvent. Mes amies, ne m’abandonnez pas. J’ai cru… mais on est pareil. Vous qui m’invitiez à le fuir, aidez-moi à le combattre ; & vous qui, plus indulgente, me promettiez de diminuer mes peines, venez donc auprès de moi. Sous ma peau, sous ma peau je saigne, c’est normal puisqu’on est les mêmes. Où êtes-vous toutes deux ? Putain de piège, manège d’enfer, sortir des braises, répondez au moins à cette lettre.
Laisse-moi donc, cruel ! quelle nouvelle fureur t’anime ? Crains-tu qu’un sentiment doux ne pénètre jusqu’à mon âme ? Tu redoubles mes tourments ; tu me forces de te haïr. Et j’en ai marre de toi. Oh ! que la haine est douloureuse ! comme elle corrode le cœur qui la distille ! C’est mon moral abîmé : tu veux m’voir tous les soirs, moi j’te réponds plus jamais… N’attendez plus rien de moi. Je sais c’est dur mais c’est comme ça.
Adieu, Monsieur.
Paris ce 5 décembre 17…
Laclos, Les Liaisons dangereuses - Lettre 161
Thérapie Taxi : Anti hit sale, J’en ai marre, Naïve, Tous les autres.
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